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Lectures de table

C’est toujours dans les détails qu’une époque se livre. La lecture des menus des restaurants sera ainsi une source d’enseignements riche pour les ethnologues qui, demain, étudieront nos manières de vivre en ce début de XXIème siècle. Après des années de style pompeux, hanté par les farandoles et les inspirations de chefs, place désormais à un ton plus direct, porteur d’une intention de transmettre une vérité, une simplicité et une forme de naturalité…

Formules du jour, assiettes du pêcheur, retour du marché ne disent rien mais ne prétendent pas plus que ce qu’ils sont et n’effraient personne. La suppression des verbes, autre marotte du moment, participe au même exercice de simplicité revendiquée et de réinvention du vocabulaire, au point de devenir un des traits dominants du fooding. Orge/Butternut/Cèpes. Cochon/Sarrasin/Cresson. A la manière des points à relier pour faire apparaître un dessin, chacun doit ici compléter ces mots pour découvrir la recette placée dans son assiette.

Et puisque les verbes ont déserté les cartes, les adjectifs en ont profité pour occuper le terrain et, ainsi, activer les papilles et les imaginaires. Frais, croustillant, crémeux, jeune, tendre arrivent largement en tête. Sans doute parce que chacun peut en comprendre l’intention. Parfait, juteux, onctueuxsoyeux, jeune, bien que plus difficiles d’accès, sont aussi très fréquemment utilisés. Quant à irremplaçable, incontournable, célèbre, voire dément, ils peuvent donner le sentiment que leurs auteurs ont un peu quitté la route, tant ils n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.

Il n’est pas rare, non plus, que des adjectifs traversent l’Atlantique pour rendre visite à nos assiettes : cheesy, juicy, crazy, crispy ou crusty garantissent le dépaysement. Mentionnons enfin les menus Découverte qui n’annoncent rien, sinon un nombre de plats, un prix et, parfois, un titre et dont le contenu sera raconté par le chef ou ses représentants en guise de bienvenue. De l’importance de maîtriser la rhétorique et l’art oratoire sous peine d’entendre un discours aussi creux qu’une assiette où le moindre repas prend la forme d’un territoire à explorer où l’on part sur avant de poursuivre l’aventure et de finir le voyage au pays des douceurs. Il peut même arriver que l’enfance du chef soit aussi évoquée ainsi que le rôle joué par sa grand-mère… Ce n’est donc pas par hasard si on entend de plus en plus souvent parler de cuisine d’auteur… 

So What ?

Puisque l’époque pose le réenchantement du connu comme une expression de la modernité, chaque marque ou enseigne doit soigner ce qu’il y a de plus simple et de plus prompt à déclencher les imaginaires : son vocabulaire.

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